En 2019, l’Organisation Mondiale du Tourisme enregistrait pour la dixième année consécutive une croissance du secteur de plus de 4 %. À l’échelle mondiale, toutes les régions affichent une augmentation des arrivées internationales, à hauteur de 1,5 milliards de touristes. Cette année aura-t-elle été l’apogée du tourisme de masse ? 

Le voyage, aujourd’hui synonyme de lointain, est devenu une habitude, voire un besoin, qui semble aujourd’hui être forcé de reprendre son sens initial : la distance kilométrique ne fait pas le voyage, le voyage est le chemin que le voyageur a parcouru vis-à-vis de lui-même.

Retour sur l’évolution de la notion du voyage, transformée par une société ultralibérale, et immobilisée par l’arrivée d’un virus qui remet de plein fouet l’église au milieu du village.

La démocratisation du tourisme fait naître la dépendance au voyage lointain

Démocratisation du tourisme

La socialiste Anne Catherine Wagner démontre dans son livre consacré aux nouvelles frontières du tourisme que le voyage est une pratique élitiste ancienne, faisant partie intégrante du mode de vie des élites. En effet, voyager est un signe de différenciation sociale depuis des siècles. A l’époque considéré comme formateur et éducatif, le voyage est réservé à la haute société pour parachever une bonne éducation. Les voyages sont destinés à former à la fois des hommes du monde et des hommes d’État, les jeunes sont envoyés aux quatre coins de l’Europe pour parfaire leur culture, apprendre de nouvelles langues et acquérir des compétences sociales.

Le voyage à l’étranger a toujours été présent dans les milieux sociaux élevés, et, grâce à la démocratisation du secteur aérien et la hausse du niveau de vie global des ménages dans les années 90, l’industrie du tourisme fait son entrée dans les mœurs. Voyager loin devient alors un signe de reconnaissance sociale à échelle plus large, et l’aspiration à voyager n’en est alors que plus forte pour les autres classes sociales. On adhère alors à l’idée qu’il est nécessaire de partir loin pour se reposer, que la vie quotidienne étant devenue insupportable, il faut y échapper. Plus nous partons loin, et moins ce quotidien nous hantera.

La banalisation de l’ailleurs à l’heure de l’hypermobilité

Banalisation de l'hypermobilité

La mobilité de loisir n’a jamais autant été valorisée, autant que le besoin de liberté que celle-ci représente. C’est l’ère de l’hypermobilité, d’un accès au voyage à la portée de tous, facilité grâce à l’essor des compagnies aériennes low-cost et la naissance du tourisme de masse. Aller toujours plus loin en payant toujours moins cher, et être libre de partir où bon nous semble en un claquement de doigt devient la définition ultime du mot liberté. 

La décision même de partir est beaucoup plus évidente et la prise de risque est minimale. L’incitation est permanente, il suffit d’acheter un billet d’avion et de réserver un hébergement en quelques clics pour déclencher l’étincelle du rêve d’ailleurs. La commercialisation du tourisme prime désormais sur les aspects symboliques de découverte, d’originalité et de rareté du voyage.

Le voyage est devenu une normalisation culturelle, et la mobilité le modèle comportemental dominant. L’essor du nombre de “digital nomads” en témoigne : travailler un jour au Portugal, le lendemain au Maroc, seulement avec un ordinateur, Internet et un VPN, est aujourd’hui normal et courant.

Combiné à l’essor des réseaux sociaux, c’est alors la course à la reconnaissance sociale : partir à Lisbonne pour un week-end, s’envoler au soleil en plein hiver, barouder en Asie en sac à dos, et surtout, montrer que l’on part loin, car voyager dans son pays est synonyme de faiblesse sociale. Car derrière le désir de voyager, il y a toujours eu l’idée que le monde doit être exploré, et que la démarche de connaissance passe par l’expérience personnelle. 

L’industrie du tourisme vend alors ce concept qui consiste à penser que plus on voyage loin, et plus on se sentira serein et reposé. On se rappelle alors de la phrase mythique de l’académicien Jean Mistler : « le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux ».

Car derrière ce terme de tourisme de masse, se cache le débat entre développement économique et protection de l’environnement. Le tourisme de masse, aussi appelé surtourisme ou overtourisme a des effets dévastateurs sur l’environnement et sur certaines villes, comme Barcelone ou Venise, ou certains sites naturels en France tels que les Calanques de Marseille ou les Gorges du Verdon. Avec le surtourisme émerge la touristophobie : en 2017, une manifestation anti-touristes à Barcelone suivie par les habitants dégénère en l’attaque d’un bus. Un exemple parmi tant d’autres du ras-le-bol des locaux, qui de Barcelone à Mykonos, des rizières Balinaises aux Caraïbes, sont confrontés à la sur-fréquentation.

L’arrêt de la surconsommation du voyage grâce à la Covid-19

Arrêt de la surconsommation du voyage

La pandémie actuelle a mis en exergue la dépendance de l’économie au secteur du tourisme, et nous a ouvert les yeux vers les dangers liés à cette industrie. Le postulat de croire que ces industries sont certes génératrices d’emplois et aident au développement du pays s’avère être ambigu : en effet, des économistes ont calculé que, en moyenne, 80 % de ce qu’un touriste du nord dépense dans un pays du sud revient à une industrie du nord – notamment le transport aérien, mais aussi l’hôtellerie internationale. De manière générale, ces industries déstabilisent les activités économiques traditionnelles, et outre leurs effets délétères sur l’environnement, elles créent une relation de dépendance. Et une économie dépendante du tourisme international est une économie trop fragile. 

La pandémie a été très dure économiquement et socialement, mais elle a également révélé nos faiblesses et notre manque de discernement. Le secteur du tourisme se voit alors forcé de repenser son modèle, pour un tourisme plus éthique et plus responsable. 

Durant cette période aussi angoissante qu’étrange, nous avons goûté au bonheur de revoir nos villes respirer, de contempler des eaux claires, des montagnes et des campagnes dans leurs états originels. Combien de personnes se sont émerveillés de la reprise de la nature sur les villes lors du confinement : des cerfs aperçus dans le Val de Marne, des dauphins dans les canaux de Venise, des lions faisant la sieste sur une route en Afrique du Sud, des sangliers sauvages dans les rues israéliennes, ou encore des canards sur les trottoirs parisiens.

Place au slow tourisme et à la recherche d’authenticité près de chez soi

Slow tourisme

Aujourd’hui, le tourisme et le voyage tendent à redevenir précieux, le fast tourisme, au même titre que la fast food tend à s’éteindre. Tout comme cette tendance visant à redécouvrir le goût d’une nourriture saine et de qualité, le slow tourisme repose sur le fait de prendre son temps en favorisant les destinations à proximité et en utilisant des moyens de transports plus écologiques.

L’année dernière, nous avons eu l’occasion de redécouvrir les joies d’un voyage à la faveur d’un tourisme durable. En France, les campagnes prennent leur revanche, la nature redevient l’échappatoire de tous. Randonnée en montagne, marche dans les bois, balade au bord du fleuve, pique-nique au coucher de soleil, on se rend compte que, finalement, la rencontre avec soi ou la quête de l’autre peut aussi arriver au travers d’un voyage près de chez nous.

Dans son ouvrage « La vraie vie est ici, voyager encore ? » , le sociologue Rodolphe Christin insiste sur le fait que cette industrie épuise la planète, alors qu’il faut aujourd’hui s’atteler à sauver et restaurer ce qui peut encore l’être. On se rend finalement compte que nous sommes devenus les artisans de la destruction de tous ces sites magnifiques qui certes méritent d’être vus et explorés, mais d’une manière différente.

L’année 2020 censée être catastrophique pour le tourisme en France a finalement été une superbe année : les destinations de province telles que le Pays Basque ont été prises d’assaut, compensant largement la perte anticipée des revenus liés aux touristes étrangers. Le succès des commerces locaux, tels que les locations de planches de surf à Biarritz, témoignent qu’il n’y a pas besoin d’aller loin pour se sentir en vacances, et qu’un tourisme plus artisanal est tout aussi viable qu’une économie basée sur le tourisme international.

Un tourisme plus humain, plus responsable, plus artisanal, voici ce qui semble être la tendance amorcée par la pandémie du Covid-19. Faire du tourisme un loisir éthique et durable, sans que celui-ci soit une niche pour riches, mais une norme pour tous. Démocratiser enfin ces nouvelles valeurs afin que l’on se rende compte qu’il est plus satisfaisant de voyager mieux et plus longtemps que de voyager vite quatre fois par an. 

La sociologue et anthropologue du tourisme Saskia Cousin en est certaine : “ce n’est pas parce qu’il y a moins de tourisme international qu’il y aura moins de voyage”. C’est l’occasion de repenser toute la philosophie du secteur du tourisme, et de remettre en question le postulat qui consiste à croire que plus il y a de touristes, plus on fait de l’argent

Source complémentaire : https://www.cairn.info/journal-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2007-5-page-58.htm


Lionel
Lionel

Je suis l'auteur du blog Une-Vie-Geniale.com, je partage avec vous des réflexions ou des expériences personnelles, parfois idiotes, parfois sensées.. Qui suis-je pour vous donner des conseils ? Personne de plus important qu'un autre être humain.. Lisez et si ça résonne chez vous, partagez :-)

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